DE STATUA, partition de musique, 54 feuillets, encre sur papier imprimé - Leon Battista Alberti, "De statua" / Ediz. italiana e Latina, sous la direction de Marco Collareta, Sillabe, 1998) - Marseille - Villefranche-Le-Rouergue, 2018
De statua est créée en réponse à l’invitation de Damien Cabanes à venir réaliser une performance dans son exposition Sans émail à l’Atelier blanc (Villefranche-le- Rouergue), une exposition qui rassemble un ensemble de sculptures en terre cuite réalisées par l’artiste d’après modèles vivants.
L’idée de cette performance naît début septembre 2018, après la découverte du De statua de Leon Battista Alberti, un traité sur la sculpture écrit en latin vers 1445. Ce texte présente une technique rationnelle de la sculpture, basée sur une codification et un établissement de mesures, de proportions, figées dans l’idée d’une beauté idéale et d’une harmonie de convenance, propres à l’époque renaissante sous le joug de la mimésis. Trois temps, trois concepts dans le dispositif « albertien » : nature, raison, beauté.
En dépit de sa valeur historique et des outils de mesure qu’il propose, le texte m’est apparu ennuyeux. Valeurs de savoir-faire dépassées, dévalorisation des modeleurs (ceux qui créent la forme par ajout de matière) par rapport aux sculpteurs (ceux qui procèdent par retrait hors du bloc d’une image qui y est contenue), des valeurs complètement opposées à la démarche de Damien Cabanes.
Je m’empare alors du texte dans sa version latine pour le caviarder selon le processus d’écriture musicale créé en 2011 (voir partition El Greco), un système de caviardage qui épargne les lettres pouvant composer les notes do, ré, mi, fa, sol, la et si. Entre temps, la rencontre d’une image de film, où l’on voit Pino Pascali et une sculpture antique, prêts à s’embrasser, dans la mer Méditerranée (film SKMP2 de Luca Patella).
Je commence l’écriture de la partition en septembre à Marseille et je la termine le 20/10/18, dans l’exposition Sans émail de Damien Cabanes. Là, j’écris la partition en évoluant parmi les sculptures. Je suis nue, « sans émail », chaussées de sabots qui claquent sur le parquet dans mes déplacements, rejouant la posture du modèle, tout en faisant sculpture parmi celles qui m’entourent. Le public s’immobilise avec moi le temps des « poses » improvisées dans les espaces d’exposition, le silence empli des bruits du jour – cloches des vêpres, voix du bord du fleuve, toussotements, arrachement des feuilles du livre caviardées, bruits des pas, sonnerie de téléphone portable… Une fois la partition terminée, je fume une cigarette, accompagnée par la bande son de la scène finale du duel de Per qualche dollaro in più (Et pour quelques dollars de plus) de Sergio Leone (1966). Assise au sol, je fais face au public. La musique de Ennio Morricone, le bruit du vent et le célèbre carillon.
Quand la bande son s’arrête, mes pieds ramènent de l’arrière d’un socle une motte d’argile emballée dans du plastique. De quelques lancers au sol et frappes des mains, l’argile atteint sa densité maximale et est modelée en boule. À l’aide du pouce, je lui donne des yeux, un nez et une bouche. Un slow et un baiser avec la tête d’argile, puis nous sortons dans le jardin, la tête portée à l’épaule. Je défile avec elle autour du bassin, puis je la fixe sur un pieu à l’entrée du potager. Je disparais dans la cabane en bois qui borde le fleuve.
Extrait de la partition et documentation de la performance à l’Atelier blanc le 20/10/18 (captures d’écran – vidéos/Damien Cabanes) :