Fresnes fiction, une proposition de Sarah Venturi et Cyril Jarton, dans le cadre de la résidence Art à tous les étages, collab. Maison d’Art Contemporain Chailloux (La MACC), AVARA (centre Socio-culturel) et l’artiste Mamadou Cissé, oct. 2013 – janv. 2014

Portrait d’une ville à travers ses rêveurs 

Pour explorer une ville, on peut y vivre, y circuler, étudier son histoire, interroger ses habitants, etc… Cette géographie concrète est aussi le cadre d’une expérience et d’une vie imaginaire telle qu’elle se révèle sous un autre jour si vous fermez les yeux dans cette même ville en vous abandonnant pendant une vingtaine de minutes à la rêverie. Très vite, le va et vient des voitures sur l’autoroute et la voie rapide se transforment en océan, la nature refoulée fait retour et la ville devient un territoire sauvage. Et pour les jeunes filles rêvant d’être chanteuses, Fresnes devient Fresnes USA – à l’image du restaurant Buffalo Grill avec son totem planté sur le bord de la route. Une lointaine ville coréenne apparaît aussi, résidu d’une image ou d’une musique entendue dans l’un des restaurants asiatiques de la ville. La boulangère de Fresnes rêve-t-elle autrement que la boulangère d’Antony ou de Fontenay-aux-Roses ? Comme la plupart des villes contemporaines, Fresnes est connectée avec le monde entier – petite ville monde de banlieue parisienne, elle est absorbée par ce grand nulle part où toutes les périphéries finissent par se ressembler : mêmes chaînes de magasins, mêmes réseaux routiers, mêmes constructions. Cependant ce « même » n’est qu’une façade masquant quantité de singularités architecturales, humaines ou même végétales, qui se révèlent dès que l’on s’attarde sous les arcades de la rue du Docteur Ténine ou que l’on explore le petit cours d’eau qui serpente à travers la cité des Thibaudes. Promenez-vous la nuit le long de l’autoroute A 93 ou aux abords de la prison et vous verrez que la nuit a ici sa propre densité, oppressante parfois, fascinante – et vous n’êtes pas nulle part mais au cœur même de nulle part, dans une solitude sidérale qui transforme les lumières électriques en constellations célestes, vous êtes dans l’espace et le centre social AVARA, où nous avons établi notre camps, une soucoupe volante arrimée sur le flanc d’une colline de la Vallée aux Renards.

Repérages

Les premiers repérages sur Fresnes et les travaux dans les archives révèlent un environnement hostile. La prison est omniprésente à la fois dans l’espace et dans l’imaginaire. Les terres agricoles et les forêts, dominant encore au XIXème siècle, ont disparu, hormis dans la zone est, en direction de Wissous et Rungis, où champs, bois et fermettes parfois à l’abandon, créent un contraste violent avec les voies rapides, les pylônes et d’une manière générale, la pression urbaine. Les autoroutes A86 et A6 se ramifient ici comme dans un delta, tronçonnant et isolant cet espace où les non autochtones s’arrêtent rarement et dont les voitures passant à toute vitesse ne peuvent distinguer que des barres d’immeubles, falaises et récifs, le long de la voie rapide. Venant de Paris par le RER, puis prenant le bus TVM, nous avons chaque fois l’impression d’un voyage – Fresnes, plus rude et difficile d’accès que les autres villes de la banlieue Sud. Entourée par les flux routiers, elle constitue un ensemble d’îles et de presqu’îles difficilement accessibles, butant à l’horizon, sur les grands espaces modernes de Rungis et d’Orly. Quand la nuit nous surprend dans nos explorations, elle nous enveloppe dans les rues et les esplanades désertes, si denses que les éclairages électriques sont comme nous atomisés.

Attrapeurs de rêves

Dans un almanach de 1902 découvert aux archives, nous trouvons la photographie d’une cellule avec des lits en métal repliés contre le mur et ce texte ambigu : « comment » les apaches sont traités chez nous ». Ces délinquants que l’on retrouve dans la littérature populaire sous le nom de « Mohicans de Paris » nous renvoient aux amérindiens dont la prison constitue une vaste réserve. Le rêve n’est pas seulement pour eux une forme de liberté – mais aussi dans le cauchemar, une aliénation. Une légende Huron raconte qu’un chasseur ayant rencontré dans une grotte une bête affreuse n’arriva plus à trouver le sommeil. Après un de ses cauchemars récurrents, il partit vers la forêt et s’endormit paisiblement. Au réveil, il vit une toile d’araignée et dès lors continua à trouver le sommeil près d’elle. C’est l’origine des « attrapeurs  de rêves », mobiles en forme de toile d’araignée, suspendus dans les lieux de sommeil. Ce nom d’attrapeur de rêve devint le fil conducteur de notre activité à Fresnes.

Déroulé de la résidence               

La résidence s’est déroulée en quatre temps:

– les séances de travail collectif : séjour à Fresnes, hébergés par le Centre l’AVARA, 27 octobre – 2 novembre 2013

– la réalisation du roman-photo en vue de la présentation publique du 17 janvier 2014: atelier 41 rue de Nantes 75019 Paris, 2 novembre 2013 – 17 janvier 2014

– la présentation publique: performance au Centre AVARA, Fresnes, 17 janvier 2014, 20h30 – 23h00

– la réalisation d’une seconde version de FRESNES FICTION pour son édition sur support DVD : atelier 41 rue de Nantes 75019 Paris, été – hiver 2014

  1.   Séances de travail collectif

Nous vivons une semaine à l’AVARA pour une immersion complète au quotidien dans le paysage de Fresnes, notre campement installé dans la salle de spectacle qui devient notre chambre et notre principale salle de travail en dehors des horaires de son utilisation par la structure.

Cinq rendez-vous sont proposés dans cinq points différents de la ville, pour des séances de travail collectif d’une journée chacune, l’AVARA (Vallée aux Renards), la Maison de quartier Vallée aux Renards, la MACC (centre-ville) et Mamadou Cissé (quartier des Thibaudes), se chargeant de communiquer sur le projet dans leurs quartiers respectifs pour la constitution des groupes de participants:

  • Lundi 28 octobre 10h00 à l’AVARA
  • Mardi 29 octobre 10h00 à la Maison de quartier Vallée aux Renards
  • Mercredi 30 octobre 10h00 sur la plateforme au-dessus de l’autoroute (face au supermarché Casino)
  • Jeudi 31 octobre 10h00 à la Macc (Maison d’Art Contemporain Chaillioux)
  • Samedi 2 novembre 10h00 devant la supérette du quartier des Thibaudes

Les groupes engagés peuvent participer au choix à une ou plusieurs séances.

Déroulé d’une séance: les participants s’allongent pour une séquence de rêve semi éveillé de 15 à 30 minutes environ, les yeux fermés. Si volonté du rêveur, les oreilles sont bouchées par du coton et les yeux couverts d’un tissu. Au bout d’une dizaine de minutes de concentration sur leurs pensées, nous les interrogeons sur leur rêverie du moment. Leur récit est reporté méthodiquement par écrit dans une fiche (une fiche par rêveur). Nous revenons vers eux à deux autres moments en leur posant parfois quelques questions, pour suivre le cheminement de leur rêverie, obtenir quelques détails.

Il s’agit de déterminer quel type de rêverie suscite la ville de Fresnes.

24 rêveurs ont participé à ce projet.

Fiches de documentation des séances de rêves:

Séance de rêve Maison de quartier Vallée aux renards, 29/10/2013, 4 participants

Séance de rêve plateforme au-dessus de l’autoroute, 30/10/2013, 1 participant

Séance de rêve, Parc des Prés de la Bièvre, 31/10/2013, 6 participants

Le 31 octobre, personne n’étant au rendez-vous donné à la Macc, nous parcourons le centre-ville, allant à la rencontre des passants et des commerçants. 5 participants se joignent au projet.

Séances de rêve, divers lieux du centre-ville de Fresnes, 31/10 et 02/11/2013

Une fois les fiches complétées, chaque rêve est réalisé le jour même ou un jour suivant, avec ou sans la présence du groupe, selon sa disponibilité. Le principe est de n’utiliser que le paysage de Fresnes pour décor. Cette deuxième étape de la séance de travail prend donc la forme de promenades, dérives, pendant lesquelles nous partons à la recherche des décors, images, objets… pouvant permettre la réalisation en images des rêves. S’en suivent des séances de prises de vue, voire de mises en scène, qui s’apparentent à des scènes de tournage de film ou de documentaire, dont les participants deviennent les acteurs. Notre matériel se résume à deux appareils photo numériques, une caméra vidéo, un MP3 pour des prises de sons, cordes, scotch, papier, stylos, ciseaux.

La documentation visuelle et/ou sonore en vue de la réalisation de chacun des rêves est alimentée quotidiennement pendant toute la durée de notre séjour à Fresnes. La prospection est constante. Nous arpentons le territoire, une séance de travail collectif le jour suivant, une dérive personnelle dans la ville et ses alentours en dehors des horaires de travail collectif ou un moment de notre quotidien – repas, séance de toilette, préparation du bivouac… – nous apportent de nouveaux éléments en vue de la mise en forme du récit d’un rêve. Images et sons glanés au jour le jour, rencontres, expérimentations de tout ordre dans la ville ou dans l’espace même de l’AVARA, inspirées ou non par un récit, comme l’improvisation d’une danse pour le rêve du fleuriste, un moment de jeu avec une araignée rencontrée par hasard, des séances de recherches à l’écomusée de Fresnes, nous permettent de constituer notre « boîte à outils », un fond documentaire, en vue de la réalisation du roman photographique.

  1. Réalisation d’un roman photographique pour la restitution publique de fin de résidence – performance du 17 janvier 2014 à l’AVARA

A partir de la documentation constituée pendant notre séjour à Fresnes, un roman photographique est construit en atelier à Paris. Un diaporama de 991 planches est réalisé à l’aide d’un logiciel PowerPoint

Les récits des rêveurs sont gardés dans leur intégrité, tels que nous les avons reportés sur les fiches. D’autres textes sont ajoutés indépendamment.

Les vidéos et prises de son sont laissées à l’état brut.

Trois musiques sont créées dont la musique du générique « Fresnes Fiction ».

  1. FRESNES FICTION, performance, AVARA, 17 janvier 2014, 20h-22h

La première présentation publique choisie est une performance restituant la diversité des éléments qui se sont articulés pendant notre séjour à Fresnes et les réalisations qui s’en sont suivies. Elle a lieu le 17 janvier, à l’AVARA, à partir de 20h00.

La performance commence par une visite extérieure du bâtiment et la présentation historique du site. Le public est ensuite conduit à l’intérieur du bâtiment plongé dans l’obscurité, par l’entrée située en étage à l’arrière. Il s’agit de refaire avec le public le même parcours que celui de la nuit de notre arrivée à l’AVARA. La découverte des différents espaces prend la forme d’une visite guidée s’appuyant sur notre histoire dans ce lieu et les différentes fictions qu’il a générées. La promenade s’arrête dans la salle de spectacle où le public est invité à s’installer au sol sur les tapis de gymnastique du lieu, tapis nous ayant servi de matelas pour dormir pendant notre séjour à l’AVARA et pour mettre en situation les rêveurs lors de séances de rêve semi éveillé in situ.

Le roman-photo réalisé est vidéo projeté sur un grand écran, planche par planche, sur un rythme improvisé en fonction des autres actions créées – lecture de morceaux de textes apparaissant à l’écran, diffusion d’extraits de prises de sons et d’extraits de vidéos sur un deuxième écran plus petit, actions ponctuelles dans l’espace comme une chanson en live, une séance d’épluchage de pommes de terre et de navets…

FRESNES FICTION, le DVD

Pour partager plus largement cette expérience à Fresnes, par delà le temps de la performance, une autre version de FRESNES FICTION sur support DVD est réalisée.

Un nouveau diaporama est conçu de l’été à l’automne 2014. Destiné à se regarder sans bande-son ni accompagnement performatif, cette nouvelle version du diaporama ne comportant pas de texte, laisse une plus grande place à l’enchaînement des images et à une vision de la ville débordant le cadre des rêveries individuelles pour laisser au spectateur la possibilité d’y faire son propre cheminement.

En accompagnement de ce diaporama une documentation de la résidence est proposée dans la rubrique « Suppléments ». Celle-ci comporte les fiches des rêveurs, les vidéos et la bande son utilisée pendant la performance du 17 janvier 2014 à l’AVARA.

Le temps qui nous était imparti pour la résidence à Fresnes était d’un mois. Pour réaliser ce DVD et rendre compte de la façon la plus juste de l’expérience singulière que fut cette résidence, nous y avons au final travaillé pendant un an.

FRESNES FICTION est un portrait de la ville de Fresnes à travers vingt-quatre de ses rêveurs pendant l’hiver 2013. Nous espérons que le public y trouvera l’occasion lui aussi d’une expérience, sinon d’une traversée dans le paysage de Fresnes, d’un voyage.

Nous remercions pour leur invitation et leur soutien à ce projet le centre AVARA et la Macc, leurs équipes respectives et tout particulièrement Mireille Deruet, Jean-Luc Dufour, Marcel Lubac et Yves Nottale. Nous remercions également tous les enfants de l’AVARA, Mamadou Cissé et tous les habitants de la ville de Fresnes pour leur participation.

 

 

Sarah Venturi et Cyril Jarton